Le 10 juillet 1759, Denis Diderot est amoureux. Pas vous ? Que fait généralement un homme amoureux ? Il dort mal, mange ses salsifis trop rapidement et court après des taxis avec des bouquets de roses. Il ne tient pas en place, souffle fort par les narines, montre ses dents qu’il a jolies et propres, écrase une larme devant un canal gris, souffre de sudation intempestive, casse des bibelots avec l’arrière-train, renverse des verres de champagne et oublie (volontairement et involontairement) de fermer sa porte à double tour. Il lui arrive aussi de calmer ses ardeurs dans des champs de coquelicots, au fond d’un bain à l’huile essentielle de lavande ou autour d’une corde solide. Diderot, lui, écrit des lettres. Sa maîtresse s’appelle Sophie Volland. Elle a 40 ans, lui 45. Il l’a rencontrée par hasard, sur un banc ou dans un salon. Ce jour-là, la situation est particulière. Il va voir Sophie chez elle, mais elle est partie au théâtre. Diderot avance à tâtons dans le noir le plus complet. Il a la présence d’esprit de ne pas chercher l’interrupteur puisqu’il n’existe pas. Comme un post-it qu’on laisserait sur le frigidaire, il rédige un billet tout en ne sachant pas l’allure que ses mots prendront… Il en va semble-t-il de l’amour comme de la pêche par gros temps : il arrive de tanguer. Emporté par son élan, il défie l’obscurité armé d’une plume d’oie qu’il laisse dériver sur le papier. À l’adresse de Sophie, il griffonne, à la fin de sa lettre, ce conseil de lecture :
Partout où il n’y aura rien, lisez que je vous aime.
Alors qu’aujourd’hui un accélérateur de rencontres a mesuré le vide des passions, on saura apprécier à sa juste valeur cette explication sentimentale du Big Bang, en rappelant au lecteur de tomber amoureux toutes les nuits sauf les nuits de pleine lune, d’écrire des lettres à taille variable dans des positions incongrues, tout en laissant les autres mourir d’ennui dans des appartements équipés d’un éclairage automatique.
Lettres à Sophie Volland, Denis Diderot, Gallimard, 405 pages, 10,20 €