Sébastien Van Malleghem organise avec Sandrine Lopez le Workshop THE HOUSE : 4 jours en immersion totale pour explorer son rapport à la photographie et au réel. Pour tous les passionnés de photo, sur présentation d’un dossier de candidature.
Interview de Sandrine Lopez:
On ne nait pas photographe, on le devient ? C’est une question de travail, d’étude, d’humilité, curiosité, imaginaire, de regard, ou de marche ?
Sandrine Lopez: Le travail/l’étude, l’humilité, la curiosité, l’imaginaire, le regard…c’est tout cela qui constitue la marche, ce qui la rythme, la compose. Je ne dirais pas que l’on nait ceci ou cela mais peut-être que nous avons des affinités avec certains « outils » de travail plus que d’autres, c’est encore notre marche qui va nous mener vers ce pour quoi on semble être fait. Il faut parfois l’inventer, tout n’est plus aussi déterminé qu’avant. Par contre la notion de travail, elle, est toujours la même ! Sans travail, je ne vois pas très bien comment aboutir à une proposition qui tienne la route.
Qu’est ce qui fait un bon photographe ? Ou qu’est ce qui fait que certains resteront toujours juste à côté ?
Des bons photographes, il y en a des milliers. Je ne pense pas que cela soit difficile de devenir un « bon photographe ». Maintenant, il faut savoir de quel point de vue on se place : est-ce que la photographie ouvre un espace plus vaste que celui ouvert par la belle image ? Ce qui compte c’est ce que porte l’image de plus lourd, de plus sourd, de plus profond, qui a à voir avec le photographe derrière l’image, ses désirs, ses obsessions… Au-delà, il est possible qu’un bon photographe (ou un grand artiste) véhicule des choses qui le dépassent, comme s’il était simplement un intermédiaire entre un grand mystère et le réel concret. C’est un relais entre nous et le plus vaste que nous.
Comment se passe un workshop concrètement ? Y a t’il par exemple un thème imposé ?
Le but « annoncé » est de créer en quatre jours une série d’images (entre 10 et 15 images au total). Ca, c’est la surface, mais ce qui nous intéresse, c’est la manière dont tout cela va se dérouler, les étapes, la façon de rebondir, d’avancer, de gérer le temps imparti et l’espace à découvrir. Concrètement, chaque participant vient chercher ce qu’il désire. De notre côté nous avons organisé les choses de la façon suivante : tous les jours (et les soirs aussi !), les stagiaires doivent partir pour une exploration de l’espace environnant et se confronter à ce dernier : paysages, village, ambiances…mais avant tout, il leur sera imposé de réaliser des portraits. C’est un exercice très dur que celui du portrait et le plus gratifiant sans doute. Il nécessite de mobiliser beaucoup et demande un dépassement à la hauteur de l’exigence de cette expérience. Chaque soir, les stagiaires rentrent à la maison avec leur «récolte» et nous passons du temps à commenter et choisir les images qui nous semblent les plus déterminantes pour la suite. En fin de soirée, nous réalisons les tirages des 5 images qui sont les plus révélatrices du travail en cours. Puis le stagiaire doit repartir en chasse. C’est une base de travail, tout est flexible bien sûr, mais cette ligne directrice nous a semblé importante pour se donner des objectifs à court terme, au jour le jour. A chacun de broder autour comme il l’entendra. Nous serons donc présents tout au long du parcours, mais la réalisation concrète des images se fera en solitaire.
Vous faites allusion à la disponibilité à l’Autre – le photographe n’est-il pas solitaire quelque part ?
Oui, il faut être disponible à l’Autre. C’est une vaste question, et je recommande la lecture de »Poésie et photographie » de « Bonnefoy ». La réponse se trouve brillamment développée dans ce court ouvrage, concernant le thème de la solitude et ce que peut la photographie…
Vous invitez à la marche : mise en route, démarche à acquérir ?
Ce terme est à prendre au sens propre comme au sens figuré. Il faut se bouger pour réaliser un travail photographique, il faut se déplacer dans le monde. Parcourir l’espace et être à l’affut, comme un chasseur, ça n’est pas une histoire de grandes distances, tout peut se passer dans un espace très réduit. La proie pourrait être notre objet de fascination, quel qu’il soit. Quelque chose qui nous troublera. Cela peut-être une personne mais aussi une lumière, un paysage, une ambiance, qu’il s’agira de sculpter, via le cadre, la composition, ou notre distance au sujet… La marche c’est comme une grande et belle image de notre vie. C’est un va-et-vient incessant entre réel concret (la confrontation physique avec l’Autre) et travail de la pensée : nos représentations, nos désirs, nos formulations… tout cela fait la marche. Je pense que c’est pour cela que la figure du labyrinthe est souvent employée (et ce depuis la nuit des temps) tant pour parler d’un parcours concret, d’un trajet, que d’une exploration des méandres de notre intériorité. C’est une image très parlante.
Qu’exigez-vous (attendez-vous) de la part des participants ?
Qu’ils puissent entrer dans le jeu avec tout le sérieux que cela exige. Comme le font les enfants qui sont plongés dans leur monde. Ils jouent, ils sont différents personnages, ils construisent, ils détruisent mais tout cela reste très sérieux, et demande un véritable engagement.
Et vous, que recevez-vous en retour ?
Un salaire !? Travailler sous forme d’un atelier intensif est une variante aux autres ateliers que je dirige en semaine. C’est une façon de gagner sa vie qui me convient bien pour l’instant. Cela nécessite des compromis, mais ceux-là n’entravent pas mon travail de photographe qui, au contraire, s’enrichit. Etre au cœur des expériences photographiques des autres, c’est toujours pouvoir renouveler son propre questionnement. Le premier workshop que l’on a fait avec Sébastien a été intense. Etre témoin de l’engagement du dépassement des stagiares m’a beaucoup touchée. Ce qui se vit dans un espace de temps réduit est toujours plus intense, parce que concentré. On a une forte proximité avec les participants, ce qui est aussi très riche pour nous. C’est toujours un miroir de nous-même au fond, chaque difficulté ou grande joie que le stagiaire rencontre, on l’a à un moment ou à un autre déjà vécue, du coup c’est un partage d’expériences qui est gratifiant pour nous. On espère être utile, être quelqu’un qui va compter.
Pourquoi l’importance du dossier de candidature, lettre d’intention et photos (portfolio) à l’appui ? Qu’est ce qui fera la différence pour être accepté ?
Le chemin à parcourir pour commencer à être à l’aise avec son outil est assez long. En sélectionnant les dossiers, nous voulions être sûrs que le stagiaire prendra un minimum de plaisir dans cette aventure. Nous sommes par principe assez exigeants sur la qualité des images que l’on veut voir. Se serait cruel et complètement incohérent de devoir travailler avec des personnes qui n’ont pas les mêmes désirs. Et puis devoir constituer ce dossier fait partie d’un premier signe d’engagement dans la marche…
Comment sauras-tu que ce workshop aura été bénéfique pour les participants ?
Nous avons mis en place, avec Sébastien, lors de notre précédent workshop, un petit moment de discussion en tête à tête avec chaque stagiaire à la fin du workshop. C’est l’occasion de faire le point, une sorte de « bilan » des quatre jours précédents. C’est un moment important car nous sommes devant les images et au-delà de leurs qualités, c’est tout ce qui a été vécu autour qui compte. L’image, c’est comme un trophée. C’est le symbole de ce que l’on est allé chercher. Ce sera bénéfique si au moins un des participants aura d’une part réussit à formuler un désir et d’autre part à aller vers celui-ci. C’est aussi une question de jeu avec ses propres limites. Savoir les reconnaître, les situer et les repousser afin d’élargir notre champ d’action possible, c’est un jeu, il faut que cela le reste. Mais je n’ai pas dit que ça n’était pas un jeu difficile, voire dangereux ! Ou du moins il y a des enjeux importants. Et il n’est pas dit que tout se joue sur place, il y a peut-être des choses qui vont agir par ricochets, par échos.
WORKSHOP THE HOUSE, donné par Sandrine Lopez et Sébastien Van Malleghem, du 8 au 11 avril 2016, 18 Hubermont, 6980 La Roche-en-Ardennes, 600€. Infos: thehouseworkshop@gmail.com. www.thehouseworkshop.com