Avec son cinquième album Brighter Wounds, le groupe américain Son Lux, désormais un trio, poursuit son exploration sonore, écrin de leurs chansons fragiles et puissantes menés par la voix atypique de Ryan Lott. Plus calme et introspectif que les précédents, l’album distille sa troublante séduction au fil des écoutes. En les rencontrant, on comprend très vite qu’ils prennent leur musique très au sérieux, même s’ils peuvent se montrer blagueurs. Soudés et complémentaires, ils laissent tout de même l’essentiel de la parole à Ryan Lott.
Un des attraits de Son Lux vient de votre voix atypique, d’où vient-elle ?
Ça a été une étrange évolution pour moi. Dans mon adolescence, je n’ai jamais chanté. Quand j’ai commencé le projet Son Lux en 2004, je n’avais pas l’intention de chanter, j’espérais pouvoir trouver des chanteurs qui savaient chanter. Comme j’ai étudié sérieusement le piano et la composition à l’université, je savais ce que signifiait d’exceller, de s’entrainer, d’étudier et puis de pratiquer ce que vous avez étudié. Chanter moi-même me paressait une erreur. Je n’avais pas la formation, je n’avais pas étudié le chant, je ne l’avais pas pratiqué pendant des heures et des heures et je savais aussi que mon instrument n’était pas le meilleur. Mais j’ai tout même pris la peine d’écouter les avis de différentes personnes et on me disait qu’une voix qui sortait du cadre était plutôt une bonne chose. La musique que je fais était très arrangé et structurée, c’était bien d’avoir, en contrepoint, un instrument incomplet et limité comme ma voix.
Sur cet album, on vous sent plus en confiance dans les possibilités de votre voix
C’est toujours quelque chose d’un peu étrange pour moi, mais je pense qu’il y a une bonne tension dans mon processus créatif. Quand j’entends quelqu’un commee James Blake chanter avec une telle facilité en arrivant à donner la couleur juste avec goût et émotion, je me considère comme un débutant. Mais Son Lux n’est pas uniquement un projet studio, c’est aussi un groupe de scène et après avoir joué des centaines de fois devant un public ma voix a grandi et évolué comme elle n’aurait pas pu le faire en studio. Donc je suis redevable au groupe pour le développement de ma voix.
Vous menez tous les trois des projets musicaux en dehors de groupe, comment faites vous le tri entre ce qui est pour Son Lux ou pour vos projets solos. La séparation est-elle évidente ?
Je crois très fort qu’on ne sait jamais comment une idée va grandir, surtout quand cette idée vient d’une source inattendue et même opposée. Son Lux est une exploration des contraires. On ne vise pas le juste milieu en cherchant à le rendre intéressant. Pour le moment, j’écris un quartet de percussions où chaque musicien suit son propre tempo. Les tempos sont parfois identiques mais souvent, ils sont différents même si ils sont liés par la mathématique de la composition qui permet d’apporter à la musique des moments de synchronicité et d’autres moments de chaos très limité. C’est typiquement le genre d’idée qu’il serait très amusant d’introduire dans le groupe. Même si c’est le genre de choses qui peuvent paraître le plus éloignées de ce qu’on attend de la pop, je sens qu’il y a là des pistes intéressantes à explorer pour Son Lux. On s’ennuierait tous avec ce projet s’il ne nous permettait pas de l’enrichir d’idées extérieures qui nous permettent de développer notre propre univers sonore.
Avez vous écrit et produit Brighter Wounds en réaction au précédent album Bones ou s’inscrit-il dans une évolution naturelle ?
On ne cherche pas systématiquement à faire quelque chose de neuf ou de différent. C’est un processus naturel. Chaque fois qu’on sort un album, il y a aussi un EP qui suit après un mois ou deux avec de nouvelles versions de certaines chansons et ça c’est parce que j’ai ce besoin d’explorer les nouvelles directions que pourraient prendre une chanson. Au cours de l’enregistrement, on a souvent l’impression qu’une chanson est parfaite, alors que les possibilités sont infinies. C’est comme si on la regardait à la lumière et qu’en fonction de l’angle où où la place, on voit quelque chose de complètement différent.
En 2016, vous avez sorti Remedy, un EP en réaction à l’élection de Trump ?
En 2016, lors de la semaine d’élection on était à Los Angeles pour travailler sur le nouvel album. Avec le résultat de l’élection, on a tous ressenti comme un coup à l’estomac. Il nous semblait impossible de continuer comme si rien ne s’était passé. On voyait ce vide géant devant nous, et plus que tout on a ressenti ce besoin de créer plutôt que de sombrer dans le désespoir. Cet EP était une réponse cathartique au climat politique. Brighter Wounds en est le prolongement. Il est toujours concerné par la situation actuelle de notre pays, mais il est tempéré par le bonheur de la nouvelle vie que je viens d’accueillir. L’arrivée de mon fils est en contraste total avec l’état du monde et c’est le genre de choses dont j’ai besoin.
Tous les bénéfices de cet EP ont été versés au Southern Poverty Law Center, pourquoi cette organisation ?
On ne pouvait se contenter de chansons, il fallait aussi une réaction concrète. Le SPLC est une association qui vient en aide aux personnes les plus vulnérables de la société américaine. Ils font beaucoup de choses depuis la surveillance et la documentation des groupes extrémistes jusqu’à la fourniture de matériel d’éducation pour diminuer les inégalités et encourager la tolérance. Ils assurent également la défense en justice dans des cas de discrimination. Les fondateurs de cet organisation étaient des avocats qui travaillaient avec les mouvements des droits civils en Alabama dans les années 70.
Dans les textes de l’album, le futur est très présent et il apparait comme quelque chose qu’il faut craindre ?
La peur est un mécanisme de sauvegarde biologique. La peur est une impulsion qu’on ne peut souvent pas contrôler mais qui a pour fonction de nous protéger. Je ne pense pas avoir vraiment eu peur avant de devenir père. En tout cas pas une peur fonctionnelle, c’était plutôt le genre de peur qu’on pensait pouvais contrôler ou écarter en fonction des circonstances. Maintenant la peur que je ressens est celle de déguerpir parce que la maison est en feu. Et vous devez avoir peur parce ce qu’il y a quelque chose à faire. On ne sait jamais de quoi le futur sera fait mais quand on sent le feu, on sait qu’il faut réagir. Il y a des actions ou des décisions dont on peut craindre le résultat logique et je pense que si des actions actuelles sont déraisonnables, alors il faut craindre le futur qu’elles devraient amener et il faut réagir.
Pour Son lux le disque la scène sont deux histoires très différentes ?
Il y a des tas de choses qu’on a réussi à accomplir en studio et qui seraient, soit impossible à reproduire sur scène, soit totalement inintéressantes pour le public. Dans la musique électronique, on voit pas mal de musiciens qui se contentent de pousser la touche play de leur ordinateur et puis laissent la musique jouer et pendant ça ils ont le temps de relever leurs e-mails. On ne fait pas du tout ça. On essaie de trouver des chemins créatifs pour recréer ne fut-ce que partiellement les sons du studio. Une des choses qu’on adore dans la musique, c’est que quand on a fini l’enregistrement d’une chanson, ce n’est que le début du développement de son habillage sonore à travers les concerts. Quand vous êtes sur scène devant le public, il y a un aspect communautaire. La musique qui se déploie et qu’on partage récompense la prise de risques, l’improvisation et l’incertitude. Toutes des choses que nous trouvons vraiment excitantes. Il n’y a pas deux concerts identiques.
J’y ai beaucoup pensé ces derniers temps. Pour nous, la perfection est dans l’imperfection plutôt que dans le contrôle total. Il n’y a pas de version parfaite d’une chanson, ce que nous cherchons c’est d’arriver à l’exprimer de la manière la plus adéquate par rapport au contexte du moment dans une salle et avec un public qui la rend parfaite.
Son Lux, en concert au Dour Festival le 12 juillet 2018 et le 26 septembre 2018 au Trix Centrum voor Muziek à Borgherout.
Lire la chronique de l’album et voir la vidéo de Slowly ici