Les clichés du rock, Taylor Kirk s’en tamponne. Le musicien canadien, leader du groupe Timber Timbre, quatre albums à son actif, est plutôt discret, effacé.
En interview, il parle d’une voix douce avec de nombreux silences et des éclats de rire comme pour démentir le fond trop sombre de sa musique. Avec sa fine moustache et sa calvitie, il pourrait être professeur ou employé d’assurance, on n’y verrait que du feu. Il aurait pu être réalisateur de cinéma, aussi.
Images et sensations
Dans l’école d’art qu’il a fréquenté à Toronto, il avait choisi l’option cinéma. Je me suis vite rendu compte que j’étais bien plus intéressé dans la musique, et donc j’en venais à imaginer un film pour pouvoir en faire la musique. Ça m’a amené à enregistrer pas mal de musique pour les films d’amis et j’ai commencé à jouer de plus en plus. J’ai laissé tombé l’idée de faire des films en me disant que j’aimerais bien composer de la musique pour le cinéma, mais c’est une industrie très très compliquée et il y a tellement de gens impliqués à chaque niveau. J’ai beaucoup de respect pour les réalisateurs quand je vois tout ce qu’il faut arriver à coordonner.
Est-ce pour cette raison que la musique de Timber Timbre est profondément cinématographique, descriptive et évocatrice. Chez moi, le langage de la musique et de l’écriture de chanson est une question d’images et de sensations. Mais quand vous essayez de trouver les mots pour exprimer ce genre de sensations, vous vous rendez compte que c’est très personnel et si j’essaie d’en parler avec les musiciens quand j’arrive avec une démo, ils vont me dire que c’est un peu ésotérique et que ça n’a pas beaucoup de sens pour eux.
Des sons qui me plaisent
Entre musique et cinéma, Taylor Kirk a produit en 2015 Lay Low, le deuxième album de Lou Doillon. Une demande insistante de la comédienne et chanteuse qui a été une surprise pour lui. J’étais très flatté, mais je lui ai dit que je n’étais pas un producteur et que j’avais une idée assez étroite de comment devait sonner la musique et que je ne pouvais travailler que des sons qui me plaisent à moi. Mais ça ne la dérangeait pas, alors elle est venue à Montréal et on a travaillé avec les musiciens qui avaient enregistré Hot Dreams. Au début, j’essayais d’avoir un regard objectif, détaché mais à la fin je me suis de plus en plus attaché aux chansons et on a fini par faire un disque qui était très proche d’un disque de Timber Timbre avec Lou Doillon au chant. Et donc j’ai dû faire un peu marche arrière pour retrouver le bon équilibre.
Sa voix me suffisait
Timber Timbre a commencé comme un projet solo avec deux disques auto-produits d’un folk sépulcral épuré jusqu’à l’os. Juste une guitare et une voix enregistrés dans une cabane de bucheron au fond de l’Ontario. La voix au ton posé, presque parlé parfois, est un des charmes les plus persistants de Timber Timbre. Alors qu’au fil des albums, la musique se déploie dans des arrangements plus cinématiques, la voix ne change pas, toujours envoûtante. J’ai commencé par de la musique instrumentale et pour me faire plaisir je chantais parfois sur un morceau, juste pour moi. Puis, j’ai dû partager un enregistrement où je chantais avec un gars avec qui on faisait de la musique. Ça lui a beaucoup plus et il m’a encouragé à en faire plus. Je me suis toujours identifié aux non-chanteurs. J’ai toujours adoré Lou Reed, ou encore Neil Young, qui, je trouve, a une très belle voix, mais qui n’est pas un chanteur. Dans la voix, ce qui m’accroche, c’est d’abord l’émotion. Ce n’est que récemment que j’ai prêté attention aux mots que je chantais. Avant ces dix dernières années j’ai n’avais jamais prêté attention à ce que chantait Leonard Cohen, sa voix me suffisait.
La bulle a éclaté
Sincerely, Future Pollution est un album qui reflète l’esprit du temps. Ecrit durant un rude hiver de Montréal , il a été enregistré à au studio de La Frette près de Paris au Printemps 2016. J’ai toujours particulièrement apprécié d’être a-politique et j’aime travailler dans ma bulle mais cette fois-ci, la bulle a éclaté. Je pense que le disque a été un peu influencé par ce qui s’est passé dans le monde en 2016. Toutes ces nouvelles, horribles et largement incompréhensibles, ont fini par imprégner la bulle.
La photo de couverture, noir et blanc, presque abstraite des grattes ciels d’une ville anonyme la nuit présage d’un album plus urbain. J’avais cette fixation sur les villes et je pensais au nombre croissant de gens qui viennent dans les centres urbains. Ils vivent de moins en moins en contact, moi compris, avec le monde réel qu’ils voient à travers leurs écrans et depuis depuis l’intérieur des bâtiments. Sewer Blues, le formidable single qui a annoncé l’album nous balade sous la ville dans un autre univers, toujours aussi coupé du monde. Je pensais aussi à Internet comme à un réseau d’égout ou en tout cas un réseau qui fait transiter des choses éphémères, des déchets ou quelque chose qui n’est pas tangible ou même nécessairement intellectuellement valable.
Nostalgie décalée
Obsédé par Lee Hazelwood et Nina Simone, Taylor Kirk adore aussi la musique des anglais de Broadcast ou la soul classieuse de D’Angelo. La musique de Timber Timbre n’a pas son pareil pour digérer ses influences dans un lent voyage dans le temps. Le blues de Robert Johnson pour le premier album, le rockabilly et le doo-wop des années 50 et 60 pour Creep On Creeping On, le soul et le rock des années 70 pour Hot Dreams. Dans Sincerely, Future Pollution, la nostalgie se tourne-t-elle vers la musique du futur ? J’ai toujours fétichisé certaines périodes, un certain type d’instruments et un certain type de production liés à des styles musicaux particuliers mais pour cet album-ci-ci, je dirais que je suis intéressé par la musique du futur, vue depuis le passé.
Cette nostalgie décalée qui se diffuse dans tous les disques de Timber Timbre, est traversée par un amour de la musique, un certain style de musique et aussi un regret de ne pas avoir vécu la première fois. J’ai le sentiment que la musique, je parle de la pop music et du rock’n roll, n’existera plus jamais pour la première fois, avec la force qu’elle exprimait quand elle est apparue. Je suis convaincu qu’on ne pourra plus jamais l’entendre de cette manière, ça n’arrivera plus.
Une affaire de connections
Quand ils ont commencé à se produire sur scène, Timber Timbre jouait sans bassiste et sans batteur. Les musiciens étaient assis et Taylor Kirk ajoutait du bout du pied quelques rythmes de grosse caisse. Au début, de manière assez catégorique, je ne voulais pas correspondre au format classique du groupe rock. Et finalement, j’ai cédé à toutes ces conventions que je voulais absolument éviter. Et j’y prends beaucoup de plaisir. Si la musique c’est toujours une affaire de connections entre les sons et les sensations et les sentiments. C’est aussi une connexion particulière avec le public. Quand je donne un concert, je peux voir que pour les gens ça a de l’importance, elle peut les rendre heureux. Après le concert, il peut arriver que les gens viennent m’en parler et me dire combien c’est important et je les crois parce que je sais que c’est vrai. Car c’est l’effet qu’elle a sur moi.
Lire ici la chronique sur le dernier CD de Timber Timbre, par Gilles Bechet