La Prusse, c’est loin. Engloutie dans le fracas de la Première Guerre mondiale, cachée derrière les moustaches du Kaizer Guillaume II. Le Belge Simon Spruyt redonne vie à cette image fantomatique dans un beau roman graphique à la fois crépusculaire et léger qui capte les derniers feux d’une société qui se meurt. Dans ce monde qui bascule à l’orée de la guerre, la vieille noblesse doit faire place à la bourgeoise marchande et les privilèges de sang ne sont plus qu’un souvenir.
Prestigieuse école des cadets
Dans le petit village de Schlitt, une vaste propriété familiale s’éteint avec les échos de toutes ces pièces désormais condamnées. Un vieil uhlan y vit seul avec ses deux fils et une gouvernante. Deux frères aux caractères biens différents : Oswald, fier et arrogant, et Ludwig, introverti et rêveur. Tous deux sont admis à la prestigieuse École royale des cadets de Köslin en reconnaissance au paternel qui a perdu une jambe au combat. Impulsif, Oswald se confronte à la discipline alors que Ludwig, indifférent, se demande bien ce qu’il fait là et Pourquoi faut-il que les choses soient comme elles sont, jusqu’à ce que, fasciné, il découvre la perfection mécanique de la mitrailleuse Maxim.
Traditions de classe
Sans se laisser dépasser ou appesantir par le sujet, le Malinois signe un récit au ton et à la narration très libres et inventifs, magnifiés par un dessin impressionniste dans des camaïeux d’aquarelle gris-bleu que structurent de grands blancs comme autant de silences. Réflexion sur la guerre et la transmission, l’album, couronné par le Prix Vandersteen en 2014, capte avec sensibilité les conflits moraux et émotionnels de ses personnages, jouets des traditions de classe et de toutes ces histoires ridicules dont on se fait des prisons, comme dit le père. Dans un final inattendu, Spruyt se permet de réécrire l’histoire pour mieux en souligner son caractère inéluctable.
Junker, Blues de Prusse, Simon Spruyt, Cambourakis, 192 pages, 26 €, Disponible sur BAZAR e-SHOP