Ça lui prend tout à coup, l’Albert. Il doit marcher, partir. Comme un somnambule, il peut parcourir près de 70 km par jour, dormant dans les fossés, et se retrouver à Vienne, à Marseille ou à Liège, avant de reprendre ses esprits et de réaliser où il est. Sans papiers, sans argent. Nous sommes à la fin du XIXe siècle. Albert Dadas est la première personne à qui l’on attribue « la folie du fugueur », une névrose apparemment incontrôlable qui laisse les hommes de science perplexes. Cette histoire qui a fasciné bien des explorateurs du cerveau est aujourd’hui racontée en BD en se glissant dans les doutes et espoirs de ses deux principaux acteurs.
Un lien hypnotique
Philippe Tissié, jeune interne en psychiatrie de l’hôpital Saint-André de Bordeaux, est fasciné par les débordements d’énergie de ce cavaleur prisonnier d’une idée fixe qui le condamne au voyage. C’est par un traitement encore décrié, l’hypnose, que le médecin veut canaliser les pulsions de son patient. Dans le lien hypnotique qui les rapproche, les deux hommes prolongent le besoin et la fascination qu’ils éprouvent l’un pour l’autre.
Touriste pathologique
Le scénario fluide et très documenté de Christophe Dabitch et le dessin tout en rondeurs empathiques de Christian Durieux se répondent dans un récit empreint d’une grande douceur. Les scènes de dialogues et de témoignages succèdent à de belles séquences hagardes et mélancoliques de cette fuite en avant pour se fondre dans le paysage. Ce touriste pathologique comme le qualifiait Tissié nous parle encore parce qu’il est l’éclaireur de tous ces routards qui ont battu la poussière de leur semelle. Ceux pour qui le vrai voyage est celui que l’on entreprend juste parce qu’on a entendu le nom d’une ville ou d’un pays.
Le Captivé, Christophe Dabitch, Christian Durieux, Futuropolis, 120 pages bichromie, 19 €