Pile et face

Gilles Bechet -

Des ils qui sont elles, des elles qui sont ils, le regard plein cadre, apaisé, un léger sourire parfois et les bras croisés sur la poitrine. Ils ou elles se dédoublent et nous troublent devant l'objectif de Géraldine Jacques. Une série de photos aujourd'hui rassemblées dans un livre : « Rhizome ».

 

Rhizome ©Géraldine Jacques
Tout a commencé par un coup de colère après la vision du film « Tomboy », un soir à la télé. La photographe n’en pouvait plus d’entendre des voix s’élever contre une prétendue menace contre le couple, la famille et la société tout entière si chacun ne restait pas dans la case qu’on lui avait assignée. Un garçon est un garçon, une fille est une fille, point à la ligne. Devant le miroir de la salle de bains, à la lumière du flash, elle s’est prise en portrait pour prouver le contraire.

 

Rhizome ©Géraldine Jacques
Il y avait aussi cette histoire de « Tous à poil », livre pour enfants au propos soi-disant subversif. Retour à la salle de bains pour une deuxième photo. Si on veut censurer un film comme « Tomboy » et un livre comme « Tous à poil », on peut censurer la moitié du patrimoine artistique. L’art est un prétexte. Il y a un raidissement dans la société, je voulais absolument faire quelque chose, explique-t-elle.

 

Rhizome ©Géraldine Jacques
La série de portraits qui s’en suit va bien au-delà d’un jeu de travestissement. C’est une prise de position. Après les quelques amis qui ont voulu, eux aussi, se monter en double, sont venus les inconnus sensibilisés par les photos publiées au jour le jour sur facebook. Il y a eu un moment où des gens que je ne connaissais pas venaient sonner à la porte pour être photographiés. Se foutre à poil, se travestir, ce n’est jamais neutre émotionnellement. Une fois maquillés, ils découvraient parfois une ressemblance inattendue avec des pères, des mères ou des proches décédés.

 

Rhizome ©Géraldine Jacques
Y a-t-il des visages plus masculins ou plus féminins ? Les apparences sont trompeuses. Des hommes très virils se révélaient très faciles à travestir en femme, alors que l’inverse n’était pas toujours vrai. Ce qui fait la féminité ou la masculinité, ce n’est pas le physique, c’est une question de regard, de voix, d’allure. Pour arriver à un résultat juste, j’ai dû beaucoup les diriger, leur mettre des phrases en tête. Le genre ne tient pas au make-up ou aux vêtements, mais à l’énergie intérieure.
Rhizomeen pratique
Rhizome ©Géraldine Jacques
Avec ce projet, Géraldine jacques a l’impression d’avoir appris à structurer ses colères. D’ailleurs, elle fait de moins en moins de photos. À chaque fois qu’une envie me vient de faire une photo, je me dis : « Non, je ne la fais pas ». Si ce non déclenche une frustration, je prends la photo. Avec « Rhizome », c’est la première fois que je faisais une série « engagée ». Je suis une psychopathe du cadrage, mais j’ai travaillé à l’instinct et autant que possible à la lumière naturelle. Il y a des choses sur lesquelles j’ai envie de réagir, mais je ne vois pas comment. Alors, je laisse venir.