Cet été, notre chroniqueur-philo Simon Brunfaut compose son abécédaire subjectif et décalé du « lifestyle ». Tous les jeudis, à partir d’une lettre de l’alphabet choisie au hasard, un mot de la galaxie art de vivre est décrypté.
C comme Chic
Contrairement à ce qu’affirment certains aficionados des boules à facettes, le mot « chic » est apparu bien avant le groupe disco du même nom. Ce qui veut donc dire qu’il est possible d’être « chic » sans nécessairement exhiber des paillettes, porter une chemise à jabot ornée de frou-frou et un col pelle à tarte. « Chic », ce petit mot de 4 lettres qui tantôt est un nom tantôt un adjectif, nécessite, afin d’être bien prononcé, un entrainement intensif de la langue et de la mâchoire inférieure. Comme « aérobic »ou « trafic », « chic » fait partie de ces mots qui fatiguent très vite le tympan et dont l’usage répété n’est pas conseillé par les cardiologues. A une personne qui rencontre le « chic » pour la première fois, le « chic » fait en effet l’effet d’un électrochoc : l’accord entre les matières et les corps se conjugue à une attitude aussi lunaire que solaire.
Il y a longtemps « chic » était utilisé par des individus parlant allemand avec un accent allemand très prononcé. De fait, « chic » nous vient de l’Allemagne, tout comme les bretzels, le cinéma de Fassbinder ou la moustache de Nietzsche. A l’époque, Il désignait tout simplement la convenance. Ensuite, le terme voyagea en France et pris le sens d’habileté, d’aisance, de facilité. Très vite cependant « chic » devint synonyme d’élégance – voire de snobisme – jusqu’à perdre de sa superbe et finir par symboliser plus prosaïquement quelqu’un de « chouette » ou quelque chose de « super », voire « super chouette ».
« Chic » ne doit pas être confondu avec son homonyme « chique », désignant cette patte molle et odorante logée entre les molaires qui permet de pratiquer le bouche-à-bouche tout en laissant échapper des bulles. Non loin de « chic » on trouve aussi le mot « chiqué », évocation lointaine de ces catcheurs aux noms improbables qui ont le chic pour hurler lorsqu’ils se foulent le petit doigt.
Certaines personnes « chics » trouvent très « chic » que d’autres personnes le soient aussi – et elles s’offusquent que d’autres ne le soient pas assez, voire pas du tout. Plus généralement, le « chic » apparaît dès lors que les gens se regardent. Où les gens se regardent-ils ? Dans les yeux, mais aussi dans les soirées mondaines, dans les soirées très mondaines, dans les soirées hyper-mondaines, dans les soirées moins mondaines, dans les soirées tout court. Certes, il est aussi possible d’être « chic » le matin ou l’après-midi, mais force est de constater que le « chic » présente mieux sous une lumière artificielle avec un verre à pied.
On dit du chic qu’il n’est pas cher ; on dit du chic qu’il est bon genre. Mais qui emploie encore l’acronyme « BCBG » aujourd’hui ? Le mot « chic » semble remplacé par d’autres mots plus « hype » (comme « hype » par exemple). C’est pourquoi « chic » rappelle ces parfums légèrement surannés, les vagues souvenirs d’une société soucieuse de prestige, cultivant une différence tape-à-l’oeil, éloignée de la profession de foi exigeante du dandy et de la bohème très étudiée du bourgeois moderne. Face au « cool », au « stylé » et au « bling bling », le « chic » a désormais besoin de superlatif pour survivre. L’avenir du « chic » sera « ultrachic » ou ne sera pas.