Cet été, notre chroniqueur-philo Simon Brunfaut compose son abécédaire subjectif et décalé du « lifestyle ». Tous les jeudis, à partir d’une lettre de l’alphabet choisie au hasard, un mot de la galaxie art de vivre est décrypté.
L comme Look
Lorsque vous fixez le mot « look », son aspect ne peut manquer de vous surprendre. Les deux voyelles du milieu ressemblent à de grands yeux qui vous regardent du fin fond de l’infini : vous êtes pris de vertige. Comme ce qu’il désigne, le terme look étonne par son aspect hallucinant. On a souvent noté, à raison, que le look concerne peu l’antilope des savanes et la salière des milieux de table. En revanche, la question du look intervient souvent au moment où le corps humain, ayant procédé à ses ablutions matinales, se sèche doucement, tout en cherchant de façon hésitante un vêtement approprié. A ce moment précis, il tombe nez à nez avec un miroir et se met à trembler, maudissant le pouvoir du reflet tout en invoquant les divinités de la pupille et de l’iris.
Toutefois, peut-on définir l’homme sur base d’un simple coup d’oeil ? Non, selon les moines de la Grande Chartreuse, qui s’en moquent bien d’ailleurs (du look). Mais ils ont bien tort, car justement la grande caractéristique du look consiste à tout intégrer, y compris l’austérité monacale, en n’hésitant pas à la marier par exemple avec un look « glam », « goth » ou carrément « rock ». En toutes circonstances, le look s’amuse de la distinction entre le paraître et l’être.
Par principe, le look consiste en un assemblage très étudié de vêtements, pas toujours chic, qui obéit à une constante savamment débridée. A la manière d’un chien qui aboie ou d’un enfant qui pleure, le look se fait remarquer. Un look qui ne se distinguerait pas n’existerait tout simplement pas. C’est pourquoi le look se plait à surligner tel un coloriage furieux. Le look irradie et cristallise des moments de grâce pure, des intensités triomphantes et idylliques. En ce sens, le look est à tout moment souverain : il est total ou n’est pas. Il affirme brillamment sa puissance sans rien soutenir en particulier. Autrement dit, il insiste; il revient sans cesse à la charge et s’annonce sans relâche comme une utopie frénétique.
Cependant, le look indique également sa propre disparition : il s’efface au moment où il s’expose, voyage entre les regards qu’il accroche rapidement et perd aussitôt. Aussi ne peut-on l’approcher qu’à distance et le laisser filer comme une étoile. En vérité, le look n’appartient pas à la réalité ; il n’entre pas en négociation avec elle puisqu’il cherche à la soumettre entièrement à son propre éclat. Ainsi le look est-il un combat perpétuel : avec lui-même tout d’abord, ensuite avec le visible, auquel il apporte une correction aussi soudaine qu’éphémère.
On aurait tort de croire que le look désigne le beau. Il appelle simplement le regard, le presse ou l’oppresse, sans rien lui promettre. Très souvent, il crie; il hurle son excentricité, tout en cherchant la perfection dans la stupéfaction qu’il intime. Hélas, le look pense trop — et il oublie parfois de se tromper. Il veut être une présence pure, un concentré de temps offert au sein d’une multitude de détails.Lorsqu’il semble mourir, c’est alors qu’il renait. Laissant peu de place au mystère en définitive, il incarne toujours une espèce d’énormité provocante au sein même de sa propre légèreté.
Avoir le look, est-ce être soi-même ? Qu’importe, il suffit de le croire, puisque le look relève entièrement de l’ordre de la croyance. Animé de pouvoirs surnaturels, il arrive également que le look « tue ». Tantôt il élève l’existence, tantôt il l’abaisse. C’est là sa grande injustice : le look ne se partage pas, tout au plus peut-il s’imiter.
Image extraite de l’article Normcore jours de pluie