S’il ne fallait assister qu’à une seule conférence dans le cadre de Brussels Design September, ce serait celle de ce soir, celle de Gaetano Pesce.
Pourquoi ? Non pas seulement parce qu’il s’agit d’un des designers les plus important de la seconde moitié du vingtième siècle ou parce qu’il s’agit d’un infatigable créateur qui possède la carrure impressionnante d’un homme de la Renaissance ; non, s’il faut absolument aller écouter Gaetano Pesce, c’est pour son corps, pour voir son corps en mouvement, son allégresse et sa fluidité, la belle forme de sa tête, sa voix qui se fraye un chemin entre les poils de sa barbe, ses yeux rieurs et profonds.
Il faut venir le voir ce grand animateur du monde des objets : le voir s’assoir, le voir se lever, le voir déambuler, le voir sourire. Le déshabiller du regard, l’observer du coin de l’oeil. Ne pas avoir peur d’être curieux, voire indiscret. Oui, il faut voir tout çà pour entendre quelque chose à son oeuvre. Alors seulement, vous comprendrez pourquoi une oeuvre est dite « organique »ou « charnelle » ; vous comprendrez pourquoi certains objets « vivent », et d’où ils tirent cette force phénoménale. D’ailleurs, il faudrait toujours voir le corps d’un architecte et d’un designer – voir de quelle façon, par exemple, il ferme les yeux, pour ensuite les ouvrir définitivement.
Avant Gaetano Pesce, on parlait bien sûr d’intelligence, de fonctionnalité et de formes d’où parfois germait la beauté. Après lui, on ne peut plus parler de design sans parler d’art, de politique, de social. C’est Gaetano Pesce qui a, d’une certaine manière, introduit la pensée dans les objets. Ou plutôt qui a permis à nos objets d’en être le reflet. Subitement, les objets se sont mis à parler dans des langues humaines et ainsi à perdre leur atificialité, leur banalité ou leur grandiloquence. La grande force de Gaetano Pesce c’est son respect de l’imperfection et sa compréhension aiguë de l’échec, son rejet du formatage, son sens de la liberté, son amour de la femme, son goût pour l’artisanat. Ce qu’il a aperçu avec précision à travers tout son travail, c’est notre finitude.
Rassurez-vous, cette dernière est joyeuse. Peut-être ce bel assemblage entre la terre et le ciel ne pouvait-il se réaliser qu’à l’intérieur d’une conscience méridionale, capable de donner à notre monde sa couleur infinie, tout en refusant obstinément de le quitter. Telle est sa grande leçon : les objets ne doivent pas nous transcender, nous n’avons pas à nous prendre pour Dieu. Il nous faut plutôt apprendre à vivre en accord avec eux, à les considérer comme des livres de dialogues ininterrompus que l’on écrirait au fur et à mesure de notre histoire commune.
S’il faut donc venir ce soir à Flagey, c’est bien pour écouter un poète, un pianiste, un critique et un humoriste. Il y aura de la spontanéité un peu partout dans la salle, quelque chose qui rappelle la candeur enfantine. Sa plus grande espièglerie ? Celle d’avoir l’élégance d’être un philosophe qui sourit. Si vous ne pouvez pas être là, n’oubliez surtout pas de l’imaginer.