La dernière BD de Lorenzo Mattotti, éditée chez Casterman est une fable onirique dans un monde menacé d’un terrible catclysme. Pour sauver son peuple, Hippolyte, le paisible Guir, nous invite à un voyage psychédélique dans des rêves enchevêtrés et des paysages malléables.
Sur les vastes plaines et les pentes douces de la terre de Guirlanda vivent les Guirs, peuple pacifique et contemplatif. Ces gentilles créatures molles et graciles pourraient se la couler douce jusqu’à la fin des temps, sauf que l’un deux, Hippolyte, lancé sur les traces de sa femme Cochenille, déclenche sans le vouloir la colère du Mont Rauque. Et patatras, c’est l’inondation générale.
Pour réparer sa bévue, le brave Hippolyte doit se lancer dans une quête de la trempe de celle qui construit la légende. Il lui faut retrouver le cœur de la montagne transformé en cristal de glace. Et pour cela, il devra s’aventurer dans les pluvieuses et cauchemardesques terrae incognitae jusqu’au royaume des morts.
Dans ce monde merveilleux et parfois dangereux, les inventions graphiques et poétiques se succèdent ne semblant obéir qu’à la seule logique du rêve. On y croise l’arbre qui marche, les baleines volantes, l’oiseau du destin ou les singes de pluie qui comptent les gouttes pour savoir si le futur sera pair ou impair. Et pour échapper aux mâchoires d’un monstre marin, on n’hésite pas à grimper à la barbe d’un géant.
Dans ce monde qui a tout pour être un paradis, le peuple n’est pas à l’abri des dirigeants à l’esprit fourbe comme la limace des marais, le nauséabond lent des pinces qui a embrouillé les paisibles Guirs pour en faire des vindicatifs guerriers. Une fois que Hippolyte, son chaman de père et Cochenille ont entamé leur voyage, on les suit comme sur une montagne russe vue à travers un kaléidoscope. La quête d’Hippolyte se transformant par moments en voyage psychédélique dans des rêves enchevêtrés et des paysages malléables.
Le dessin de Lorenzo Mattotti, esthète raffiné est ici au plus dépouillé sans les chatoyantes couleurs auxquelles il nous a habitués. Réduit par moments à un fin trait, presque tremblant, il laisse d’autres fois émerger quelques silhouettes fantomatiques d’une dense forêt de traits. Sa grande souplesse d’exécution semble ouverte aux pulsions de l’écriture automatique où se mêlent de lointains échos de l’art de l’estampe ou de l’abstraction minimaliste. Le langage narratif n’est, lui, pas étranger à l’étirement du temps hérité du manga.
On ferme le livre le cœur léger car au bout de ce tendre et terrifiant périple, la seule morale qui vaille, c’est qu’il faut accepter le changement. Rien au monde, que ce soit un bien ou un mal, n’est immuable, pas même les esprits et les dieux.
Guirlanda, Mattotti-Kramsky, Casterman, 392 pages noir et blanc, 35 €