Avec The World Within, le Hangar, centre photographique de Bruxelles, expose l'impressionnant travail de 27 photographes invités à saisir le quotidien du confinement. Un monde réduit par la quarantaine et agrandi par autant de regards empathiques, poétiques ou humoristiques.
C’est la nuit. Même le jour. Les rues de la ville sont désertes, c’est le silence. Certains disent même que les animaux ont quitté les campagnes et les forêts pour hanter le bitume. Photographe de rue, Frédéric Stucin découvre Paris,où il habite depuis 20 ans, comme un décor de cinéma vide. Les acteurs, les extras et les techniciens sont partis, il ne reste plus que des volets baissés, les chaises empilées les unes sur les autres. Parfois une joggeuse qui court sans regarder en arrière ou un homme qui se retrouve sur un banc comme émergeant d’un mauvais rêve. On voudrait pouvoir relâcher son doigt de bouton pause.
Depuis le début de cette épidémie sans précédent, on n’arrête pas de parler de Wuhan. Devenue synonyme de la pandémie, cette ville est un trou noir dans notre imaginaire. Une ville où vivent et meurent près de 9 millions d’habitants. Confiné comme nous tous dans son appartement bruxellois, Simon Vansteenwinckel est parti à leur rencontre les a observés de la fenêtre de son ordinateur. Comme un oeil dans le ciel sans autre pouvoir que sa mémoire photographique. Pour créer ses images irréelles et poétiques, il s’est servi d’un film Washi F habituellement utilisé en radiographie pour le diagnostic des maladies respiratoires. La lumière mange la pellicule, un blanc aveuglant pour ronger la normalité quotidienne.
Il a suffit d’un virus invisible pour ralentir et presque immobiliser la machine qui fait tourner le monde. Mais pas la nature. Naufragé dans la campagne qui entoure sa maison dans le village de Ranst, près d’Anvers, Nick Hannes a photographié le monde familier touché par la lenteur. Dans l’incertitude et le manque, il y a trouvé une joie nouvelle inattendue. Un retour au vert, à la simplicité qui confirme que l’ennui n’existe pas quand on ouvre son regard. Il y a mille choses à découvrir dans le renoncement. La course de l’escargot sur une vitre fait écho à celle du soleil derrière l’horizon.
Quand le quotidien se rétrécit, tous les objets qui le composent prennent une autre dimension. Entre les quatre murs de son appartement parisien, Marguerite Bornhauser joue avec ce qui l’entoure comme avec les consonnes et les voyelles d’un langage à inventer. Dans son journal photographique, le banal devient étrange. Un tranche de pastèque, des fleurs séchées, un artichaut coupé, dialoguent avec la dentelle des ombres filtrées par une passoire de cuisine ou des branches de fougère. Oranges et tomates prennent la pose au creux d’une jambe. Son appareil photographique semble doté d’un sixième sens pour extraire les couleurs du réel et les magnifier dans des diptyques tranchés.
Face à la pandémie, certains n’ont pas d’autre choix que de poursuivre leurs invisibles tâches quotidiennes, quand elles sont devenues essentielles. Le photographe portugais Gonçalo Fonseca a tourné son objectif vers des femmes migrantes, travailleuses invisibles qui squattent des appartements abandonnés à Lisbonne. A l’incertitude sanitaire s’ajoute la précarité de son chez-soi. Dans le dénuement, chaque possession devient un trésor. Quand l’espace se réduit, chaque geste devient une aventure. Un ballon qui s’échappe par la fenêtre, ce sont des heures de jeu en suspension et une nouvelle chasse qui s’ouvre.
Dans l’espace étriqué de son petit flat parisien, Gérôme Barry a résisté au confinement en bricolant des petits films burlesques lancés sur internet comme des bouteilles à la mer. Fils spirituel de Jacques Tati et de Boris Vian, il se met en scène dans des micro métrages pour une soirée à l’opéra, une partie de poker contre quatre lui-même, pour une chasse à la chaussette perdue ou pour une préparation à la première sortie d’après-confinement. Mêlant déguisements, petites séquences d’animation et truquages bruts, il nous livre d’irrésistibles capsules d’humour absurde.
Jamais l’extérieur ne nous est apparu avec autant de menaces et de promesses. De l’autre côté de la fenêtre, on peut voir ce que l’on veut, la lumière comme l’obscurité. A l’entrée de la nuit, au bout de la ville, peut-être au bout du monde, elle agrippe sa plante en pot comme si c’était un sésame pour le monde d’après ou un doudou pour lui rappeler le monde d’avant. Avec un mélange de tristesse et de détermination, elle est prête pour quand le jour viendra. Cette image est extraite d’une série de portraits confinés avec des modèles rassemblés par petites annonces que Julia Fullerton-Batten a préparé et réalisé à distance et sans contact physique.