A deux heures de route cabossée de la ville sainte de Vârânasî, l’entreprise sociale Rangsutra produit des collections uniques d’objets artisanaux en tissu. Mais elle a surtout pour vocation d’œuvrer à l’autonomisation des femmes issues du monde rural. En partenariat avec le géant Ikea. Episode #3 de notre reportage en Inde, au cœur de la filière coton.
Entrepreneusesindépendantes
Hemgjörd, en suédois, signifie « fait maison ». C’est le nom choisi par Ikea pour désigner une collection exclusive d’accessoires de maison en coton et en fibre de bananier bio – housses de coussins, chemins et sets de table brodés, pochettes et paniers tressés…. – créés par des femmes issues de l’Inde rurale et disponibles depuis peu dans quelques magasins du géant du meuble en kit à travers le monde.
En Belgique, on les trouve à Mons, Arlon et Hasselt. Mais l’intérêt de cette collection en édition limitée, sixième du genre depuis 2013, ne réside pas seulement dans son caractère artisanal. Elle incarne un autre aspect de la politique axée sur la production durable de la puissante multinationale (lire nos épisodes #1 Inde le coton autrement et #2 au coeur de la fillère coton) : le partenariat avec des entrepreneurs sociaux visant notamment à favoriser l’émancipation des femmes dans l’Inde profonde. Et Shiva sait s’il y a du boulot !
DiptiDéveloppement social
Lorsque nous arrivons sur le site de production d’une de ces collections uniques dans le village de Rangsutra, une trentaine de femmes nous accueillent joyeusement au cœur de leur atelier décoré pour l’occasion. Elles ont revêtu leurs plus beaux saris multicolores et ne boudent pas leur plaisir de montrer leur savoir- faire aux visiteurs que nous sommes. Et, surtout, de raconter leur vie, qui a radicalement changé depuis qu’elles ont rejoint le projet.
Nous sommes à deux heures de route défoncée de Vârânasî, la grande ville sacrée du Gange au cœur de l’Uttar Pradesh, l’Etat le plus peuplé du sous-continent avec ses 200 millions d’habitants. Une province essentiellement rurale où la misère se conjugue à un modèle social des plus archaïques et où les femmes restent le plus souvent sous la dépendance totale de maris qu’elles n’ont pas choisis. Et de leur belle-famille. C’est le cas de Nisha, mariée à 13 ans après avoir quitté l’école à 10.
Le portraitde Nisha
Née voici une dizaine d’années, l’entreprise sociale Rangsutra vise à assurer des moyens de subsistance stables aux femmes de la campagne tout en favorisant l’artisanat local traditionnel. Pendant des siècles, les femmes du nord de l’Inde ont réservé leur extraordinaire savoir-faire en tissage et en broderie à leurs robes de mariée qui doivent être des pièces uniques dans un pays où les saris richement décorés font partie du quotidien. Les promoteurs de ce projet leur ont offert le moyen d’en tirer parti. L’accès à l’éducation, à des soins de santé de qualité, à l’eau potable et à un revenu décent figurent parmi les préoccupations majeures des femmes de l’Inde rurale, souligne la fondatrice de Rangsutra, Sumita Ghose. En leur offrant un travail régulier, nous leur permettons de sortir de chez elles. Grâce à ce revenu, elles ont voix au chapitre. »
Un revenu régulier ouvre de nouveaux horizons dans la vie des personnes les plus vulnérables de la société indienne, se félicite pour sa part Vaishali Misra, business leader chez Ikea. Les partenariats à long terme avec les entrepreneurs sociaux offrent de meilleures perspectives d’avenir et d’indépendance aux femmes. Aujourd’hui, plus de 1.500 artisans, en majorité des femmes mais pas uniquement, participent à la création des produits brodés à la main pour les collections destinées à Ikea, qui les présente dans certains magasins triés sur le volet – il n’y en a pas assez pour toute la chaîne.
La plupart des ouvrières sont actionnaires de leur entreprise sociale et participent au processus de décision. Le développement de Rangsutra lui a permis de disposer de plusieurs ateliers répartis dans les villages de la province, qui forment de petites communautés d’artisans et permettent aux femmes de travailler hors de chez elles tout en restant à proximité. Et tout en étant, désormais, respectées par leur entourage.